Hommage à Edouard Glissant : L’Egypte, la Tunisie et les murs qui tombent

Publié le par Milton Dassier

En Egypte comme en Tunisie, ce sont bien des murs qui tombent. Au-delà de la fuite des despotes, les peuples sortent de leur torpeur dans laquelle l’illusion du chef infaillible les avait plongés.

 

Il y a quelques années, Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau avaient écrit un texte à quatre mains, intitulé : « Quand les murs tombent ».

Un texte sur les murs qui séparent les peuples, que ce soit des murs en béton ou des murs de lois et de police.

La surprise du monde occidental, quant aux désirs d’émancipation des peuples qui se révèlent dans le monde arabe, tient en la croyance que le système qui consiste à sous-traiter son hégémonie à un roitelet indigène en costume cravate, était assuré de durer indéfiniment.

 

Finalement, l’occident oxyde les peuples au nom de la stabilité de son pouvoir tout en prétendant être l’oxygène du monde.

 

Un Ben Ali ou un Moubarak au pouvoir, c’était l’assurance qu’en bons amis de l’occident, ces hommes  empêcheraient, au sud de la Méditerranée, une religion fantasmée comme dangereuse et invasive de remettre en cause le nouvel ordre mondial établi par l’occident depuis la chute du mur de Berlin.

 

Un Ben Ali ou un Moubarak en fuite, c’est un garde-chiourme en moins, un mur qui s’ébrèche d’où s’épanche une certaine idée de cette « mondialité » chère à Edouard Glissant.

 

Une mondialité qui fait que la révolte des tunisiens et des égyptiens reste avant tout un cri du monde destiné au monde pour un monde meilleur. Pour un monde qui  préfère regarder ses branches effleurer le ciel plutôt que ses racines enchevêtrées.

 

 

Les murs qui se construisent aujourd’hui (au prétexte de terrorisme, d’immigration sauvage ou de dieu préférable) ne se dressent pas entre des civilisations, des cultures ou des identités, mais entre des pauvretés et des surabondances, des ivresses opulentes mais inquiètes et des asphyxies sèches. Donc : entre des réalités qu’une politique mondiale, dotée des institutions adéquates saurait atténuer, voire résoudre. Ce qui menace les identités nationales, ce n’est pas les immigrations, c’est par exemple l’hégémonie étasunienne sans partage, c’est la standardisation insidieuse prise dans la consommation, c’est la marchandise divinisée, précipitée sur toutes les innocences, c’est l’idée d’une « essence occidentale », exempte des autres, ou d‘une civilisation exempte de tout apport des autres, et qui serait par là même devenue non-humaine. C’est l’idée de la pureté, de l’élection divine, de la prééminence, du droit d’ingérence, en bref c’est le mur identitaire au cœur de l’unité-diversité humaine.

 

La rengaine du choc des civilisations est lamentable. Les civilisations se connaissent, se frottent, se changent et s’échangent de manières conscientes ou inconscientes depuis des milliers d’années. Les archéologies culturelles, voire même identitaires, ne révèlent que des strates qui s’emmêlent sans fin, se nourrissent, se regardent, se fécondent, « s’émulsionnent ». L’ « Occident » est en nous, et nous sommes en lui. Il est en nous par les voies de la suggestion, de la sujétion, de la domination directe ou silencieuse. Mais il est aussi en nous par ces valeurs qu’il a portées au plus haut et peut-être jusqu’à exaspération (Raison, individuation, droits de l’humain, égalité hommes-femmes, laïcité…) et qui étaient déjà présentes dans toutes les cultures à des degrés variables et avec des nuances infinies.

 

L’orient en liesse en Tunisie et en Egypte est un beau cadeau pour l’humanité : de quoi orienter la marche de notre monde vers l’avènement de la liberté pour tous les peuples.

 

S'orienter, n’est-ce pas chercher l’orient ?

 

Pour ceux et celles qui veulent se familiariser avec la philosophie poétique de Glissant, cette vidéo le leur permettra.

 

 

Publié dans opinions

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