Pour la droite, le devoir d'amnésie est de rigueur
François Hollande a exprimé les regrets de la république pour le massacre par la police française de Papon, des algériens qui avaient manifesté leur soutien au FLN, le 17 octobre 1961.
Un beau et grand geste qui honore la république. Eh oui ! N'en déplaise à certains, la république doit être irréprochable (tiens, tiens, qui avait parlé de « république irréprochable »?) , sa police aussi !
Les réactions furent assez violentes. La droite, sauf les centristes, a fustigé cet acte de repentance avec des arguments pour le moins douteux, des arguments clientélistes qui font frémir.
La droite est prise en défaut car, depuis plus de dix ans, elle a encouragé localement des commémorations plus que douteuses pour l'OAS et les tenants les plus fachos de l'Algérie française.
Le transfert prochain aux Invalides des cendres du général Bigeard, tortionnaire à Alger puis député et ministre de droite sous la présidence de Giscard en est une illustration. Apparemment, le gouvernement de gauche va laisser faire cette idée de la droite!
Mais revenons au 17 octobre 1961 et à la réaction outrée de la droite française à travers les déclarations de François Fillon. Même des personnalités en vue de la communauté juive se sont émus de cette violence verbale, ayant bien compris que les critiques envers le devoir de mémoire envers les algériens de France de 1961, pourraient aussi concerner le devoir de mémoire envers les juifs déportés de 1942 !
Cette droite qui aime parader au dîner du CRIF et se prononce pour le devoir de mémoire de la déportation des juifs avec la complicité de l'état français, se met en porte-à-faux. Il lui sera bien difficile désormais de parler de valeurs républicaines qu'il faut défendre.
La repentance n'est pas un acte de faiblesse. Contrairement à une idée savamment répandue, les grands dirigeants du monde ont exprimé des regrets pour des actes commis par leur pays dans le passé.
- L'état Belge a fait acte de repentance pour la déportation des juifs tout récemment en septembre 2012.
- En 1991, l'Autriche créait un service national pour la mémoire de l'holocauste pouvant constituer une alternative civile au service militaire.
- Le rôle du Royaume-Uni dans l’esclavage est un sujet de « profonde tristesse et de regret »(deep sorrow and regret) avait déclaré le premier ministre britannique Tony Blair en 2007.
- En 1999, le président Bill Clinton exprima ses regrets pour la participation des Etats-Unis à l'esclavage qui avait eu lieu sur le sol américain. Georges W Bush en 2003 a fait de même. En 2008, le congrès des USA a présenté ses excuses sincères, le sénat aussi. Donc à quatre reprises sur dix ans, les Etats-Unis ont fait acte de repentance pour l'esclavage. Et on ne compte pas les regrets et repentances exprimées par les gouverneurs des états. Les Etats-Unis sont-ils un pays faible et indigne ?
Alors, utile le devoir de mémoire ?
Jusqu'à ce que le président François Miterrand s'en émeuve en 1992, puis Jacques Chirac en 1995 , aucune commémoration officielle n'avait jamais eu lieu en France sur la déportation des juifs. C'est ainsi qu'on souligna à la fois la participation des autorités de Vichy à la déportation des juifs et le rôle des « Justes » qui luttèrent pour l'en empêcher. Sans cette repentance, aurions-nous entendu parler des « Justes » ?
La loi Taubira a permis la commémoration de l'abolition de l'esclavage et a impulsé une connaissance étendue des modalités de ce crime en France et ailleurs, modalités occultées jusqu'alors. Des débats passionnés eurent lieu, ces débats ont enrichi la réflexion historique.
En effet, jusqu'à la fin du 20ème siècle à Paris, on trouvait des monuments à la gloire de certains proesclavagistes comme Rochambeau ou le général Gobert mais, à part Victor Schoelcher, l'oubli pour ceux qui s'étaient illustrés dans la lutte contre l'esclavage le payant parfois de leur vie.
Tout crime mérite d'être dénoncé. Il en va de même pour ces graves atteintes à la condition humaine qui ont eu lieu. Pendant des décennies, certains ont fait leur fond de commerce sur une histoire de France présentée comme glorieuse depuis des siècles. Un fond de commerce très profitable sur le plan politique. La droite, et ceux à gauche qui se veulent plus nationalistes que la nation, ont tenté plusieurs fois de faire croire que la colonisation avait été bénéfique pour les populations colonisées. Ils ont nié les terribles massacres qui ont eu lieu un peu partout dans l'ancien empire colonial sans oublier le travail forcé et les humiliations.
Les illusions historiques tombent les unes après les autres. Il y en aura d'autres. Serons-nous capables de regarder la vérité en face comme l'Allemagne post nazie le fit avec une dignité inégalée ?
Ou alors en regrettant la repentance, sous-entend-on qu'il faudrait se garder un droit à la bavure, ou pire, un droit de recommencer ?