Le mutisme des bleus et de la fédération trahit un traumatisme bien réel

Publié le par Milton Dassier

On en attendait beaucoup. Et on est déçu. L’audition de Raymond Domenech, de Jean-Pierre Escalette succédant aux interviews des joueurs de l’équipe de France laisse tout le monde sur sa faim. Aucune révélation, pas d’anecdotes qui permettent de comprendre ce qui s’est réellement passé en Afrique du Sud.

La commission d’information de l’assemblée nationale tourne au fiasco à son tour et se limite à enregistrer des erreurs de management sur ce qui a mené à la défaite.

Ces gens de la fédération jouent sur du velours désormais. Ils savent en interne, les vraies raisons du chaos. Ils savent que les joueurs, au fond, avaient raison, ou bien, avaient leurs raisons et qu'elles étaient légitimes; qu’ils avaient certainement tiré la sonnette d’alarme à leur façon même si dans la forme ce fut une catastrophe montrant ainsi qu’on ne peut demander à un joueur de football d’avoir autant de savoir-faire pour communiquer qu'utiliser ses jambes sur un terrain.

 

Voici ce qu'on trouvait sur le site de Fédération Française de Football à ce sujet:

 

"La volonté louable de favoriser la tranquillité et la concentration des joueurs a progressivement abouti à un isolement excessif et à une forme d'enfermement de l'équipe de France. L'image qui prévaut aujourd'hui est celle d'une équipe coupée de son environnement et de joueurs distants, frileux, repliés sur eux-mêmes. Or l'équipe de France ne suscitera l'adhésion et l'enthousiasme que si elle transmet la générosité, l'ambition, la joie de jouer, la proximité avec le public, la fierté de porter le maillot. Avec les joueurs qui ont un rôle majeur à jouer en ce domaine, Raymond Domenech devra oeuvrer à réconcilier l'équipe de France avec son public. Compte tenu de l'impact médiatique de tout ce qui touche l'équipe de France, la communication du sélectionneur national ne véhicule pas seulement ses idées, ses choix et sa personnalité. Elle porte aussi, en France et à l'étranger, la voix de la Fédération et l'image du football national. Ceci lui impose de mesurer en permanence la portée de ses propos et l'investit d'une responsabilité particulière."

   

Pourtant, beaucoup de dirigeants politiques à l'esprit étroit, réclamait du sang de joueurs. Dans le sillage de Roselyne Bachelot, les députés pensaient pouvoir jouer aux accusateurs publics et s’en prendre aux joueurs. Ils espéraient que Domenech et Escalette leur parlent des bleus comme des caïds, des traîtres au maillot français. Qui sait, peut-être un Jean-François Copé ou un Jacques Myard pensait-il proposer une loi ou lancer le débat pour les déchoir de leur nationalité française!

 

Le monde journalistique s’étonne hypocritement qu’un pacte de silence ait été « signé » entre les joueurs et la fédération.

 

Le monde journalistique est-il composé d’abrutis ou prend-il le public pour des abrutis ?

 

De toute évidence, ce qui ne passe pas, c’est la une du journal « L’équipe ». Il y a eu trahison manifeste de la confidentialité qui doit régner dans les vestiaires d’une équipe. Finalement, se baser sur des propos de vestiaires, pour se convaincre qu'une équipe traverse une crise, il y a mieux non?

 

Et cela avait dû commencer bien avant l’insulte de Nicolas Anelka. Rappellons-nous, Patrick Evra parlait d’un traître montrant ainsi une certaine paranoïa. Le capitaine de l'équipe de France n'avait pas d'antécédent psychiatrique et avait faitpreuve de son sang-froid en maintes occasions. Alors pourquoi?

 

Il n’y avait pas un traître mais des "rapporteurs" qui oeuvraient, sans se rendre compte des conséquences, pour des commanditaires tout à fait conscients, eux, de ce qu'ils pourraient en tirer.

 

Le traître, ce sont ceux qui en disaient trop aux journalistes et les journalistes eux-mêmes, venus plus pour rapporter des rumeurs que pour parler football. Tout ce qu'il faut pour ajouter du doute de soi aux doutes de l'équipe.

Quand Gallas refuse de parler aux journalistes avant même le début de la coupe du monde, c’est le signe que des joueurs supportent de plus en plus difficilement le tapage qui est fait autour d’eux depuis les premiers stages et les matchs de préparation.

 

Rappelez-vous le battage médiatique insensé à propos des mollets de Gallas ? Et les rumeurs sur Ribéry,  Abidal ou Thierry Henry ? Des prises d’antenne en direct faisaient monter la sauce : Par exemple, Thierry Henry : Comment allait-on le faire jouer, comment prenait-il le fait d’être sur le banc des remplaçants ? Se sentait-il humilié? Etait-il d'accord?

 

Chacun y allait de son hypothèse, de son interprétation. Rien d’objectif, que des suppositions !

 

Les joueurs traînaient des pieds pour se rendre en conférence de presse au point de susciter cette déclaration de Jean-Pierre Escalette:

 

"Je compte bien intervenir et les mettre en face de leurs responsabilités. J'en ai assez de devoir courir derrière les joueurs pour qu'ils aillent en conférence de presse."

 

Hugo Lloris soulignait lors de la première semaine en Afrique du Sud :

 

"Il faut comprendre que l'on a besoin de sérénité et de calme pour travailler, c'est pour notre bien-être. On ne vit pas caché, on n'a pas à se cacher et on a rien à cacher."

 

Les joueurs ont des liens parfois anciens avec des journalistes, du moins certains d’entre eux. Cela facilite la confidence, mot qui a la même origine que « confiance ».

 

Alors que dire ?

 

C’est simple, les bleus n’avaient plus confiance en personne. Et, on peut être sûr que la question des confidences aux journalistes a été un des sujets de discorde entre joueurs.

 

A priori, il n’y avait aucune raison que des clans se forment, que la méfiance s'installe entre eux. Que ce soit dans leur club ou dans leur équipe nationale, les joueurs sont habitués à vivre dans un melting-pot d’origines, de religions, de niveau culturel, de personnalités. On voit donc mal des joueurs se rejeter les uns les autres à cause de leurs différences.

 

S’il y a eu des clans, c’est forcément par rapport à la parano qui s’était emparée de certains joueurs « harcelés » de l’extérieur et sans doute pas mal de l’intérieur par des journalistes prêts à tout pour avoir une information.

Une parano qui a saisi les cadres, les plus anciens, ceux pour lesquels la presse se faisait le plus de souci : Gallas, Ribéry, Abidal, Anelka, Govou.

 

 

S’il y a eu erreur de management, c’est bien là. Des joueurs avaient besoin de se sentir protégés. Inconscients du risque, leur fédération, leur sélectionneur avaient organisé les choses autrement sans penser que les correspondants rivaliseraient de prouesse pour obtenir ici et là une info croustillante. Une allusion d’un soigneur à la sortie d’un ascenseur, une plaisanterie lancée à un joueur  bavard, une confidence autour d’un café où tel ou tel se lâche. Tout était bon à prendre pour remplir les bandeaux défilant au bas des écrans des chaînes d’infos.

 

D’où le silence d’aujourd’hui et des jours précédents. Dégoûtés d’eux-mêmes et du ram-dam politicomédiatique qui perdure, les joueurs n’en diront pas plus. Les rumeurs se poursuivront mais sans trouver la vérité.

 

Certains, ne joueront plus jamais en équipe de France, non pas, parce qu'ils seraient en quelque sorte punis ou qu’ils ne le méritent pas sur le plan des qualités footballistiques mais parce qu’ils ne le voudront pas.

 

On les a achevés très vite avec une violence qu’ils ne soupçonnaient pas.

 

 

Publié dans opinions

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article