Identité Nationale : Les mots d’un français noir « parti » en Grande-Bretagne
Le 18 mars 2009, il y a tout juste un an, je vous contais l’histoire singulière de Tidjane Thiam français et ivoirien, devenu à 46 ans PDG du premier groupe d’assurance britannique.
Je vous parlais de son parcours brillant : Diplômé de l’Ecole Polytechnique et de l’Ecole des Mines.
Je vous parlais aussi de ses difficultés à trouver un poste en France à la mesure de son parcours professionnel et de ses compétences.
Aujourd’hui, il est à la tête du groupe d’assurances britannique Prudential et cinq mois après sa nomination, il rachète pour 35 milliards de dollars la filiale asiatique de AIG. Il devient le premier PDG noir d’une entreprise du FOOTSIE, l’équivalent britannique du CAC40… Il est considéré en Grande-Bretagne comme une des personnalités les plus influentes du monde économique..
Formé en France mais rejeté d’une certaine façon.
Et avec le débat sur l'identité nationale, le cimat xénophobe qui s'empare d'une bonne partie de la droite, les clichés racialistes très vivaces chez les gens, il risquerait de l'être encore longtemps...
Bravo aux grandes écoles françaises. Tant pis pour la république française, tant mieux pour "la perfide albion"..
Il a écrit un beau texte sur « Qu’est-ce qu’être français ? » pour l’Institut Montaigne. Sa contribution au débat sur l'identité nationale qui vaut bien mieux que les discours des Besson, Fillon, Sarkozy et autres cuistres!
En voici quelques extraits:
La France clairement peut être définie comme un territoire. Un espace géographique. Une histoire. Des femmes. Des hommes. Pour moi, elle est aussi et surtout, avant tout, une idée. Une aspiration. Comme telle, son essence et son identité ne reposent ni sur les gènes, ni sur la couleur de la peau ni sur l’apparence physique ou la couleur des cheveux. Cette France-là appartient autant aux parisiens de 1789 qu’à l’africain que je suis.
Ma France à moi est donc une idée : chahutée, changeante, toujours un peu différente mais toujours reconnaissable entre toutes.
Notre république.
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Mon père m’a toute ma vie parlé, avec l’éloquence que seules la sincérité et l’émotion confèrent, de cette idée, de cette France qui osait proclamer dans un monde où l’asiatique était encore traité de ‘coolie’ ou le noir de ‘boy’ dans le Sud de l’Amérique, de cette France qui osait dire : liberté pour tous, égalité pour tous, fraternité de tous !
Les écoles, les routes, les puits, les médecins donnaient un sens et une crédibilité nouveaux à ce message, porté par des instituteurs zélés aux quatre coins de l’Empire. La loi Houphouët-Boigny, votée dans l’euphorie de 1945, abolissant le travail forcé : quel message pour tous ceux qui doutaient de la France après ce terrible printemps de 1940 et les années sombres de l’occupation ! La chicotte, les arrestations arbitraires, les élections truquées, le régime de Vichy, n’étaient pas compatibles avec ce message généreux et universel.
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Gratitude profonde et réelle pour l’éducation que la France m’a donnée mais aussi et simplement pour les opportunités qu’elle m’a offertes d’intégrer grâce à un système de sélection ouvert et transparent ses meilleurs écoles, d’y bénéficier de l’enseignement dispensé par ses meilleurs cerveaux, fruit de siècles de recherche, de travail acharné et d’efforts. Il n’est pas possible pour moi de dire assez combien tout cela m’a servi et me sert encore chaque jour dans mon rôle de directeur financier d’une des premières entreprises britanniques.
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Joie sans mélange quand une équipe Bleu-Black-Beur gagne enfin cette Coupe de Monde en 1998. Le 12 juillet 1998 est le seul jour de ma vie d’amoureux du ballon rond où j’aie été content de voir le Brésil perdre…
Trop de choses ont été dites et écrites déjà sur cette victoire mais comment oublier la vague d’espoir qu’elle a suscitée pour les Mamadou, Abdoulaye, Mohammed, Kader de France et de Navarre.
Frustration parfois devant ces policiers français comme moi et qui me tutoient. Frustration de devoir m’exiler a Londres, fatigue de me cogner le câne contre un plafond de verre parfaitement invisible mais o combien réel.
Fatigué de voir des collègues moins compétents s’élever et progresser quand ma carrière stagnait. Frustré de voir que l’Angleterre sait me donner aujourd’hui tout ce que la France n’a pas toujours voulu ou simplement peut-être su me donner : opportunités, respect et le don le plus précieux bien sur : indifférence a ma couleur.
Frustration quand l’un de mes camarades d’école devenu chasseur de têtes m’avoue embarrassé, qu’il a cessé d’inclure mon profil dans ses réponses à ses clients français, parce que la réponse invariablement était : profil intéressant et impressionnant mais vous comprenez…’. Tout là aussi était à chaque fois dans le non-dit, dans ces points de suspension.
Seule ma foi dans les idéaux que défend et représente la France me permet quand c’est nécessaire, de mettre en perspective l’étroitesse d’esprit à laquelle nous tous, porteurs d’une différence visible, sommes si souvent confrontes.
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Espérance née de ce que, pur produit du système français, je puisse être déclaré par le Guardian de Londres seconde personnalité noire la plus influente du Royaume-Uni. Je suis reconnaissant à tous mes maîtres, mes professeurs de lycée, si dévoués, si exemplaires, qui ont donné un peu de leur temps à un jeune africain si désireux d’apprendre et de savoir qu’il les faisait sourire.
Le plus important à l’heure où j’écris ce texte, entouré de ma gratitude, de mes frustrations et de mon espérance, est de savoir lequel de ses visages la France décidera de montrer au monde dans un siècle si plein de promesses mais aussi de menaces.
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Quelle place pour nous français dans ce nouveau siècle ?
Celle que nous nous ferons en restant fidèles à ce que nous avons de meilleur à offrir au monde de la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen à Lafayette , Baudelaire, Berlioz, Pasteur, Jean Moulin, Malraux ou de Gaule
Face à un monde qui change, les seules attitudes, les seules attitudes qui conduiront de manière certaine à l’échec, sont l’immobilisme, la crispation et la frilosité. La fermeture, l’isolement, le mépris des autres auront pour corollaires dans un monde où la compétition entre nations et économies est féroce, l’échec, la perte d’influence et à terme l’insignifiance.
Je suis convaincu que la France peut continuer, si elle reste fidèle à ses valeurs, à occuper une place de choix dans ce 21e siècle qui fait de Barack Obama le président de la nation la plus puissante du monde.
Je suis convaincu que mon espérance n’est pas vaine. La France est trop grande, trop pleine des désirs de ses enfants d’où qu’ils viennent, Mohammed ou Thibault, Amina ou Laure, pour ne pas continuer à être au premier rang des nations, éprise de justice et de liberté, prête à s’enflammer pour un nom ou pour un pays.
La France trouvera en elle l’énergie, la créativité, l’intelligence nécessaires pour qu’elle demeure ce qu’elle ne doit jamais cesser d’être : une source d’espoir pour le monde et pour les hommes et femmes de bonne volonté.
La France vivra.
La France continuera de rayonner.
Ma France à moi est une idée et les idées ne meurent jamais."
Tidjane Thiam